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Dîners secrets Le Voyage à Nantes

A quoi ressemblera le restaurant en 2020 ?

À la une de son dernier guide, le Fooding titrait « Le restaurant est mort, vive les restaurants« , prônant là l’arrivée de nouveaux concepts où il est question de dématérialisation, de restaurants fantômes, d’adresses nomades ou éphémères et de Chef·fe·s volant·e·s.

S’agit-il d’un phénomène parisien ? D’un besoin de déconstruire pour mieux reconstruire ? D’une nécessité de désacraliser le contenu de nos assiettes et de s’abstraire de l’héritage des grands noms de la gastronomie ?
Ou peut-être est-ce la revendication d’une nouvelle façon de pratiquer le métier de cuisinier et de restaurateur·trice, en adéquation avec les envies de chacun en matière de rythme de vie, d’expression artistique, de rapports humains ou de liberté ?

Bistrot, cave à vin, buffet à volonté, pizzeria, izakaya… peu importe le genre et l’étiquette, ce qui est à vivre ne se joue plus seulement dans le contenu de l’assiette.
Le client ne va plus au restaurant pour se nourrir ou se retrouver entre amis. Il y va, avant tout, pour prendre part à une expérience qui soit à la fois cohérente à ce qui s’annonce et à ses valeurs, mais aussi pour vivre un moment unique et si possible surprenant, voire émouvant.

Aller au restaurant, un acte militant

Dorénavant, le client appelle le·la Chef·fe par son prénom, connaît le parcours du serveur·se, et peut lire le nom de chaque fournisseur et prestataire sur son menu.

Sur ce même menu, le cochon n’est plus un simple cochon, mais le porc Kintoa élevé par Christian Aguerre à Itxassou (en laissant presque entendre que vous seriez bien ignorant que de ne pas le connaître).
Les carottes de sable ont été renommées « les carottes de Franck », du prénom du maraîcher installé à Carquefou, à 5 min de notre restaurant et qui, dans notre imaginaire, a fait lui-même la livraison ce matin-là, avec son vélo cargo, les mains encore pleines de terre.
Même le paludier qui fournit la fleur de sel a lui aussi quitté son anonymat.

Tant de messages qui confortent l’engagement militant, rassure chacun dans ses convictions écologiques et titille sa petite tendance chauvine. 

Le client se préoccupe du local, des saisons, des modes d’élevage, de la préservation des espèces, du transport, avec une exigence supérieure à celle qu’il s’applique dans les rayons de son supermarché.

Et le restaurateur·trice d’être jugé·e sur chacune de ses pratiques. Malheur à celui qui proposerait encore un avocado toast, du poulpe de Méditerranée ou qui persiste dans l’utilisation des nappes en tissu, quand le client s’extasie désormais plus de cet amuse-bouche aux fanes de carotte, jus d’arrête et chapelure de pain, d’un plat végétarien hautement gastronomique que de la rareté d’un produit dit noble.

Et vient le moment de payer où une pancarte mentionne comment grâce à La Tricyclerie, le restaurant offre une seconde vie à ses déchets organiques. Ouf !

Show devant

 

Comme au théâtre, au restaurant la partition se rejoue tous les jours, et plusieurs fois par jour.

Mais ce n’est pas seulement l’assiette qui est mise en scène, orchestrée et représentée avec brio… c’est le Restaurant. Faut-il entendre là non pas le lieu, mais bien l’expérience.

Du moment qui suscite l’envie jusqu’à celui de payer l’addition, rien ne peut être laissé au hasard.
Le teasing sur les réseaux sociaux, la décoration des sanitaires, les intitulés de la carte des vins, le choix du pain… chaque élément est pensé et choisi pour procurer de l’enthousiasme et magnifier l’expérience.

A l’heure de la sur-communication, celle-ci se fait stratégique avec l’enjeu d’amener chacun à un niveau plus émotionnel.
Parce que la personnalité du Chef·fe en dit plus que l’intitulé de ses assiettes, sur Instagram, on montre les femmes et les hommes dans leur quotidien et hors de leur restaurant. On glorifie le produit. On parle d’art. De nature…

Ce n’est plus le plat qui s’expose mais le contexte qui se raconte : Un premier de la classe promis à de grandes études, sa collection de vinyles d’électro allemand, un voyage bouleversant en Corée, une fascination pour les peintures de Pierre Soulage, la pratique assidue des arts martiaux, un corps tatoué…
Peut-on encore être cuisinier si on a une vie sage et banale ?

Ceux qui tentent – à la façon du restaurant Chateaubriand à Paris – la non-communication signent une mise en scène audacieuse et jouent là un coup de poker osé.
Les autres se contenteront de créer une intrigue. Chaque photo alimente ce récit sans mot où s’immerge le·la client·e. L’assiette ne se montre plus. Les intitulés se font minimalistes. La technique s’efface. Et ce suspens suscite l’envie et l’émotion.

Tel qu’on a pu voir des artistes de spectacle vivant demander à leur public de ne pas dévoiler le show, pourra-t-on empêcher les instragrameur·se·s de révéler le menu ou ce qui fait l’audace du repas ?

Trouver son style

Les reconvertis ouvrent leurs échoppes. Les bonnes adresses se multiplient. Le restaurant se démocratise. Tout le monde a le droit de cité. La pizzeria ou le kebab sont jugés de la même façon que le restaurant gastronomique, la cantine ou le bistrot. 

Les cuisines ouvertes sont devenues la norme. La décoration s’est faite plus brut et minimaliste. Le service décontracté est préféré à l’accueil trop guindé. Les Chef·fe.s sortent en salle. Le restaurant se fait événement et l’événement s’éditorialise. Il redevient jovial, humain et vivant. Le métier se raconte. Les quantités s’ajustent. Et la qualité gagne de la place. Si bien qu’on trouve désormais à manger de bons petits plats fait-maison à moins de 12€ dans tous les centre-villes.

Au milieu de ce tumulte joyeux, il n’aura été jamais si compliqué pour les chefs et restaurateurs d’écrire leur propre partition.

Tous cherchent la mise en lumière et tentent de se démarquer avec des outils qui aussitôt se standardisent. Quand le public, en quête de nouveauté et d’originalité, continue de zapper, de plus en plus vite.

Pour cette construction d’identité, les Chef·fe·s se détournent de l’enseignement académique et s’inspirent des cuisines d’ailleurs. Londres, Stockholm, Seoul… Ils voyagent. Jusqu’à parfaire leur apprentissage auprès de Chef·fe·s étrangers, parfois même autodidactes.

Une quête d’originalité qui se fait aussi par la recherche du produit rare (le légume oublié, le fruit exotique mais local…) et  l’expérimentation de nouvelles techniques de cuisson ou de conservation. Avec le risque que la cuisine, qui s’était assagie, redevienne démonstrative et complexe.

 

2020 créera-t-il l’événement ?

Comme le Fooding le mentionne, ces dernières années ont vu fleurir, partout en France, des phénomènes nouveaux. Régulièrement les restaurants prennent place dans la rue. Le·la producteur·rice est l’invité·e d’honneur d’un repas convoité. Des cuisinier.e.s itinérant.e.s sans cuisine fixe se déplacent de lieu en lieu, d’événement en événement. Les styles s’entrecroisent. La cuisine est devenu un véritable faire-venir, et l’événement un se-faire-voir.

Ainsi, à tout point de vue, ces dernières années ont été foisonnantes, créatives, fructueuses et vertueuses.
Alors en 2020 et pendant les années qui suivront, quelle sera la tendance ?
Va-t-on définitivement se détourner du lourd héritage français ou reconsidérer les richesses de cette histoire ?

Le restaurant va-t-il calmer le jeu avec la volonté de retrouver du sens et gagner en authenticité ? Ou va-t-on casser les codes, déconstruire le modèle classique et réinventer ce lieu ? 

Ce qui est certain, c’est que nous serons confrontés à 2 enjeux sociaux auxquels inévitablement il faudra répondre.
D’une part, interroger l’évolution nécessaire des conditions de travail des métiers de la restauration : j’ose là parier qu’on parlera bientôt de management horizontal dans les cuisines, de la juste rémunération de chacun, que les métiers de salle bénéficieront enfin de la valorisation qu’ils méritent et que la mixité sociale et de genre sera un fait.

Et d’autre part, allier qualité, liberté et accessibilité. C’est à dire un bon repas, respectueux de notre planète, gourmand, joyeux et onirique et accessible au plus grand nombre. Car nul ne voudrait devoir reconnaître que le plaisir de bien-manger et de bien se nourrir est réservé à une élite.

Un défi éminemment politique, auquel les restaurateurs devront eux aussi tenter de prendre part.

Photos : Les Tables de Nantes : Dîner Secret 2016 / Les Goûts Uniques 2012 avec Alain Passard / Les Chefs en Voyage à Rome en 2013 / 3ème service 2015 – 

Crédit : Christophe Bornet – Tous droits réservés

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