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[La Grande semaine Végétale] – Portrait : La Ferme de Rouillon cultive le sarrasin et les céréales en agriculture biologiques

Aussi appelé blé noir, le sarrasin n’est pourtant pas une céréale, à l’instar du blé, du maïs ou de l’orge. Membre de la famille des polygonacées, tout comme l’oseille et la rhubarbe, cette plante offre cependant de belles graines dorées, transformables en farine, qui lui valent d’être cultivée depuis des milliers d’années et de servir d’aliment de base dans de nombreuses régions du monde.

Pour autant, si le sarrasin présente une culture plutôt facile et rapide, sa transformation en graines décortiquées (appelées kasha une fois torréfiées) n’a rien d’un jeu d’enfant. C’est le constat qu’a fait Franck Durand quand l’envie lui a pris de revenir sur la ferme de ses parents pour y développer un tel atelier.

Une ferme 100 % végétale

Labellisée bio depuis 1998, la ferme de Rouillon a longtemps été une ferme d’élevage de moutons, vaches, volailles… associée à la culture de céréales. Il y a 30 ans, les parents de Franck y lançaient leur première activité de transformation des céréales (colza et tournesol) avec la fabrication de biocarburant, avant que les magasins bio de la région, en quête d’huiles locales, ne viennent les démarcher et les incitent à réorienter leur production et leurs débouchés.

Peu après l’arrivée de sa sœur, Viviane, venue aider à la production d’huile, Franck revint à son tour sur la ferme, bientôt rejoint par sa compagne Marine, avec le projet de poursuivre le développement de nouveaux ateliers de transformation. « Avant tout, ce qui m’a motivé, c’est que la ferme était en bio. Je ne serais jamais revenu si ce n’avait pas été le cas. On est d’ailleurs les seuls agriculteurs bio de la commune. Il est évident qu’on ne fera jamais marche arrière. Depuis 2022 et le départ en retraite de nos parents, la ferme est même devenue entièrement végétale. Aucun de nous trois n’avait de formation agricole et ne voulait faire de l’élevage. »

Franck, lui, a une formation d’ingénieur. Après avoir travaillé sur le sujet du caoutchouc pour une filiale de Total « J’y ai rempli ma caisse à outils et j’y ai gagné énormément de compétences que j’utilise aujourd’hui sur la ferme », il se réoriente dans les énergies renouvelables « Ça me parlait quand même un peu plus ! »

Quand il apprend que les magasins bio sollicitent désormais ses parents afin qu’ils les fournissent en graines décortiquées de tournesol d’abord, Franck voit l’opportunité à travers ce nouveau projet d’allier son bagage technique à ses valeurs. « J’étais à Carhaix à l’époque et je m’ennuyais un peu. J’ai commencé par mettre 2-3 chiffres dans un tableur pour voir si ça pouvait valoir le coup, avant d’en parler à mes parents. J’ai la chance d’avoir été soutenu. Si j’ai pu mettre en place un atelier de décorticage, c’est avant tout parce qu’il y avait déjà sur la ferme des activités, telles que les volailles et l’huile, qui étaient opérationnelles depuis de nombreuses années et tournaient bien. Il a fallu plusieurs années et pas mal d’investissements pour lancer ce nouvel atelier et le rendre viable. »

C’est ainsi que la culture du sarrasin est arrivée sur la ferme, avec l’objectif premier de rentabiliser les investissements réalisés sur l’atelier de décorticage du tournesol en l’utilisant sur une autre graine. 

Aujourd’hui, la ferme compte 80 ha dont 50 ha de colza, tournesol, sarrasin, chanvre alimentaire, blés d’hiver et de printemps et un peu de maïs, le reste étant en prairie. Elle emploie en plus des 3 associés un salarié en charge de la transformation des graines.

Le sarrasin, plante vertueuse

De culture facile, rapide (de 4 à 5 mois contre 9 à 11 mois pour le blé ou le colza), adaptée aux sols pauvres, le sarrasin présente de nombreux avantages dans les rotations des cultures, pour des rendements optimisés, d’autant qu’il souffre peu de la concurrence des adventices, du fait de sa levée rapide.

Sans gluten, le sarrasin est aussi reconnu des nutritionnistes pour ses multiples atouts et des Chefs pour son petit goût de noisette.

« Il y a énormément de variétés dans le sarrasin, c’est aussi ce qui rend cette plante intéressante. La plus cultivée ici, c’est la Harpe, utilisée pour la farine. On trouve aussi des variétés issues de semences paysannes. On a fait plein de tests pour choisir celles qui conviendraient le mieux au décorticage. On aime les mélanger toutes ensemble dans le champ ou les séparer pour refaire des semences. L’avantage de les mélanger, comme cela se fait pour les blés de population, c’est qu’on multiplie les chances de réussite selon les conditions climatiques et la résistance de chacune. Pour autant, le rendement à l’hectare est très variable sur une plante comme celle-ci. Ça peut aller de 2 à 18 quintaux. »

L’un des principaux enjeux pour Franck, c’est de trouver le bon timing de récolte. Semé à la fin du printemps, le sarrasin est traditionnellement récolté fin septembre. « Il faut trouver le moment parfait où les graines sont sèches, avant qu’elles soient prêtes à tomber. Il arrive que des fleurs se refassent suite à une pluie ou que des graines germent sur pied. »

De la plante à la graine

Une fois récoltées, il va cependant falloir de nombreuses étapes avant que Franck puisse commercialiser ses graines décortiquées ou leur farine. Après un premier tri pour retirer les impuretés les plus importantes, les graines sont séchées par envoi d’air chaud puis de nouveau triées et calibrées avant d’être stockées. « On est en bio, donc on ne récolte jamais que des graines. Déjà en conventionnel, ils
n’y arrivent pas, alors, évidemment, en bio, c’est pire ! » 
Les graines les plus grosses partiront au décorticage, les autres étant conservées pour la farine.

Dans l’ancienne bergerie de la ferme, les machines se succèdent. « Ici on aime bien bricoler. On mélange des machines modernes hyper high-tech à de vieux outils de nos grand-parents. Quand on a commencé, il y a 12 ans, on était très peu à faire du décorticage. Surtout sur le sarrasin. Il m’a fallu un peu de temps pour trouver des solutions par moi-même. À un moment, j’ai failli abandonner tellement c’était compliqué. Et puis, un beau jour, alors que j’étais sur le point de jeter l’éponge, dans le grenier de l’ancienne maison d’un oncle de mon père, je vois ce tarare. J’étais passé plein de fois devant sans voir son potentiel. Cette fois-là, ça a fait tilt ! Depuis, il me sert à débarrasser les grains de leurs cosses. »

Mais le plus dur n’est pas nécessairement le décorticage. Il s’agit avant tout de proposer un produit propre. « Il faut réussir à retirer toutes les impuretés, les grains cassés et surtout les petits cailloux qui peuvent être de la même taille que les graines. » Pour cela, il manquait à Franck deux machines : une table densimétrique « C’est une toile sous laquelle on vient souffler de l’air à travers les graines qui vont alors se retrouver en suspension. Par un effet de va-et-vient, de vibrations, les grains entiers se séparent des grains cassés. Ceux-là vont partir en farine, le but, c’est qu’il n’y ait rien de perdu. La valorisation des écarts de tri fait partie du modèle économique. » et une trieuse optique « À l’époque, cette machine coûtait 100 000 euros ! Elle fait des photos permanentes des graines. Un flux d’air vient changer la trajectoire de celles qui seraient de la mauvaise couleur, permettant ainsi d’expulser les cailloux. Avant de l’avoir, je le faisais à la main. Trois kg à l’heure ! Quand les premiers magasins m’ont commandé 60 kg de graines, j’ai réalisé que ça ne serait plus possible. J’ai commencé par utiliser la machine d’un semencier en Anjou, ça m’a permis de la tester. Puis on a pu acheter le matériel en CUMA. Aujourd’hui, il y a une soixantaine de fermes de la région qui amènent leurs graines à la ferme et on s’occupe de leur faire le tri. »

Cette Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole en commun (CUMA), INNOV44, est la plus importante du département et regroupe sur l’ensemble de ses activités pas moins de 280 fermes qui partagent, le plus souvent, du gros équipement. Elle vient s’adjoindre aux CUMA plus localisées ou spécialisées, toutes jouant un rôle important dans le milieu agricole en permettant la mutualisation de machines, de main-d’œuvre, d’ateliers de découpe ou de transformation, d’espaces de stockage… Un dispositif coopératif qui permet une meilleure optimisation des investissements, une réelle entraide et un partage de savoir-faire entre agriculteurs.

Une ferme diversifiée et autonome

Forte de tout ce nouveau savoir-faire, la Ferme de Rouillon a multiplié son offre et ses circuits de distribution tout en faisant le choix, au maximum, de la vente en direct et en vrac. Elle fournit ainsi des magasins bio, des boulangeries locales, des AMAP et, par l’intermédiaire de l’outil de commercialisation collectif Manger Bio Pays de la Loire, la restauration collective.

Franck a également installé sur la ferme un four à bois à soles tournantes, dans lequel sa compagne, Marine, cuit les pains qu’elle vend aux épiceries et sur les marchés locaux.

Soucieuse de valoriser ses ressources et animée par la quête d’une certaine autonomie, la ferme développe aussi des activités autour du bois avec la mise en place d’une scierie, les parents de Franck ayant planté il y a 40 ans, sur une parcelle très humide, une peupleraie de 400 peupliers que la famille exploite depuis 25 ans désormais. 

« Écologiquement et économiquement, ils ont fait un super choix dont on a la chance d’hériter. Tout le bois présent sur la ferme vient de nos cultures. On a aussi entre 5 et 10 hectares de haies sur la ferme. La plupart de nos haies font 10 mètres de large. On a une politique particulière de gestion des haies. On considère que chacune doit vivre un maximum pour accueillir de la biodiversité. De temps en temps, on fait des coupes d’entretien puis pendant 20 ans, on n’y touche pas. Les haies nous fournissent tout le bois de chauffe de la ferme, des habitations et du fournil. »

Soucieux de renforcer cet accueil de biodiversité sauvage sur leurs terres, les associés de la Ferme de Rouillon ont récemment pris contact avec la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux) afin de rejoindre le réseau Paysans de Nature et, ainsi, prendre toujours plus d’engagements en faveur de cette préservation nécessaire.

Article issu du livre Nourrir Nantes (et au-delà…)