- Posted: 28 janvier 2020
- Tags: Agriculture, Carte Blanche, Fête de la vache nantaise, Nicolas Guiet, Paysannerie, Paysans, Producteur
Laurent Chalet, un paysan engagé
Cet article a été écrit dans le cadre d’une carte blanche donnée à Nicolas Guiet, Chef de L’U.Ni.
Homme de passion, de valeur et de partage, Les Bouillonnantes lui a proposé de choisir les sujets de ce magazine et est allé rencontrer et interroger ces acteurs qu’il a souhaité mettre en avant.
Textes de Laurence Goubet
Photos de Paul Stefanaggi
Visionnez ici le reportage photo complet
Sur les bancs d’école du Lycée agricole au Rheu à côté de Rennes, Laurent Chalet savait déjà que ce qu’on lui enseignait ne correspondait en rien à ce qu’il avait envie d’entreprendre
Rebelle ? Pas vraiment ! Laurent a une conscience écologique affûtée et a vu ses parents, agriculteurs au Dresny, faire face à de grandes difficultés financières et rencontrer d’importants problèmes de santé, en s’essayant à ce modèle productiviste qu’on lui vante. Il se souvient du dépit de voir sa mère, alors âgée de 50 ans, qui n’a d’autres choix que de reprendre ses études pour obtenir un travail à La Poste et part travailler à Paris pour nourrir ses 5 enfants.
Plus son professeur le moque “Laurent, l’agriculture ce n’est pas la nature et les petits oiseaux”, plus il clame haut et fort son envie de démontrer qu’il est possible d’inventer une autre agriculture, respectueuse de la nature et des animaux et que celle-ci participera au changement profond de société.
La suite de l’histoire n’est pas tout à fait due au hasard. Si Rochette et Dalida, les deux dernières vaches nantaises de ses parents ont disparues quand Laurent avait 7 ans, celui-ci se souvient qu’il continuait de parcourir la campagne à vélo pour aller voir dans les fermes environnantes cette jolie vache couleur froment, tirant parfois sur le roux, aux grands yeux sombres et d’allure fière avec ses grandes cornes dressées vers l’avant.
Cet vache nantaise, à laquelle il voue une profonde admiration et un attachement affectif deviendra pour lui le symbole d’une nouvelle façon de concevoir le métier de paysan.
La vache nantaise
Quand Laurent s’installe en 1989, tout juste âgé de 26 ans, il reprend les limousines de ses parents, mais également leurs dettes.
Grâce à sa persévérance et le soutien de Solidarité Paysan, il éponge peu à peu celles-ci et démarre doucement, prônant des méthodes écologiques, sème du trèfle et bannit désherbant et engrais.
En 1995, il achète ses deux premières Nantaises, Licorne et Légende, avec pour seule ambition de participer à la sauvegarde de la race.
En parallèle, il s’engage avec les autres éleveurs et prend la Présidence de l’APRBN (Association de Promotion de la Race Bovine Nantaise).
Car la Nantaise était vouée à disparaître. Alors qu’on comptait 150 000 animaux dans l’après-guerre, il ne reste dans les années 80 qu’une quarantaine de têtes. Un travail de recensement et de suivi génétique de la reproduction va permettre de relancer la race particulièrement adaptée aux sols humides de ce territoire de bocages et de marais, arrivant à 80 animaux en 1997, année où Laurent lance la première fête de la vache Nantaise au Dresny.
Ce qui devait être une mission de sauvegarde, devient finalement un défi puisque rapidement le paysan décide de transformer la ferme familiale pour ne vivre que de l’élevage de cette race.
Il lui faudra 10 ans pour créer son troupeau et encore 10 ans pour réussir à valoriser le fonctionnement de sa ferme 100 % Nantaise. Une période pendant laquelle il travaille aussi sur les problématiques de qualité de viande et le travail de maturation de chaque muscle afin de proposer un produit de la meilleure qualité possible, aidé de son oncle et de sa tante, tous deux bouchers qui viennent faire les découpes dans son labo à la ferme.
Depuis 2019, il collabore avec JA Gastronomie, installé près d’Angers, avec qui ils étudient les meilleures façons de valoriser sa viande par la maturation.
Ce travail, qu’il mène aussi avec les Chefs est une étape importante pour Laurent Chalet. Un partenariat qui l’aide à mieux comprendre les enjeux de la restauration traditionnelle, de connaître les atouts gustatifs de ses bêtes et les meilleures façons d’exhausser le goût de chaque muscle.
Aujourd’hui il est autonome, ne dépend d’aucune production extérieure et vit correctement de son métier.
Certes les semaines ne font pas 35 heures, mais Laurent a démontré là que ce modèle est viable et reproductible.
Il peut par ailleurs compter sur le soutien de son fils Alexandre, agent de remplacement qui prend le relais quand cela est nécessaire.
À 57 ans, l’éleveur entrevoit l’avenir avec enthousiasme, exprime l’envie de poursuivre l’exercice de son métier avec pour projet de faire évoluer la ferme afin que son fils puisse rejoindre l’aventure et lui léguer celle-ci, à son tour, quand viendra le temps de se reposer un peu.
Quoique au vu du dynamisme qui l’anime, on doute qu’il ne se repose jamais !
Porte-parole utopiste
Intelligent, cultivé et perspicace, le verbe facile, pas vraiment farouche — même si il nous confie avoir été un grand timide —, Laurent a gagné sa légitimité par la réussite de sa ferme et le succès que connaît la Fête de la vache Nantaise. De celle-ci, il n’a pas voulu en faire une revanche. Au contraire, humble et généreux, il veut que ce modèle serve d’exemple à tous ceux qui voudraient s’installer, à commencer par son fils, et leur partage volontiers ses ressources.
Pour l’éleveur, la Nantaise n’est pas seulement une race de vache sauvée in extremis de sa disparition. Avec l’organisation de la Fête, il en a fait le symbole de la valorisation du monde paysan et d’une dynamique collective en faveur d’un système vertueux socialement, écologiquement et économiquement.
Car ce qui se joue là est éminemment politique.
À travers la qualité des invités qui participent gratuitement aux tables rondes et à l’université paysanne, la présence des Chefs étoilés, et surtout par la venue des 60 000 visiteurs de la dernière édition, Laurent a réussi le pari de montrer que la demande sociétale et forte et que les Français sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à cette nouvelle agriculture où la nourriture se fait délicieuse, juste et engagée.
Il a également réussi à montrer que l’avenir de nos assiettes se jouera localement, autour de circuits courts, de la valorisation des terroirs, de fermes autonomes et aux méthodes adaptées à chaque territoire.
Et à ceux qui lui diront que ce système à l’ancienne qui favorise la qualité à la quantité n’est pas en adéquation avec les logiques modernes de croissance… il leur répondra que lui et ses amis paysans engagés sont en avance sur leur temps, mais surtout que l’époque a sacrément pris du retard.
Utopiste pragmatique, ça me va bien cet oxymore !
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