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Lisaqua, des gambas nantaises

Texte : Laurence Goubet
Photos : Paul Stefanaggi (photo de gambas cuisinée par le Manoir de la Régate) et Pauline Avignon (reportage à la ferme aquacole)

Lisaqua est une jeune start-up nantaise qui élève et commercialise des crevettes triple zéro. Zéro antibiotique, zéro conservateur, zéro rejet polluant… et fait la promesse d’une production locale. Afin de savoir si un tel modèle peut-être vertueux, plusieurs membres de l’association Les Bouillonnantes sont allés visiter leur ferme.

Les amateurs de pêche à pied le savent, en matière de crevettes, les stars de nos côtes françaises sont la crevette bouquet (Palaemon serratus) et la crevette grise (Crangon crangon).
Et pourtant, alors qu’elles n’ont rien à leur envier en matière de goût, c’est la grosse crevette rose vendue déjà cuite et provenant le plus souvent de Madagascar (espèce Penaeus monodon), d’Équateur (Penaeus vannamei) ou d’Asie qui garni, le plus souvent, les plateaux de fruits de mer des stations balnéaires françaises. 70% d’entre elles étant issues de l’aquaculture.

Afin de proposer une alternative à ces produits importés et généralement issus d’élevages ayant d’importantes conséquences environnementales et sociales, Charlotte Schoelinck, (docteure en biologie marine), Caroline Madoc (ingénieure des Mines de Paris) et Gabriel Boneu (diplômé d’HEC Paris) ont décidé de fonder Lisaqua, une ferme aquacole de gambas (Penaeus vannamei) à faible impact environnemental, installée en périphérie nantaise.
Leur promesse : “proposer des gambas sans antibiotiques, sans rejets polluants et élevées à proximité directe des consommateurs”.

Mais, est-il possible d’élever, en bâtiment et loin de la mer, ce crustacé plus habitué aux eaux chaudes des zones tropicales et sub-tropicales des divers océans qu’aux températures nantaises, sans impacter l’environnement ?a

Gambas ou crevettes ?

Avant de vous parler de ces gambas atypiques élevées sur le territoire ligérien, rappelons qu’il n’y a pas fondamentalement de différence entre crevette et gambas. Le nom gambas étant l’autre nom vernaculaire (nom usuel non scientifique) de cette large famille des Panaeus également appelées “crevettes tropicales”, “crevettes”, voire “scampi” en Belgique.
Et c’est bien de ces crevettes tropicales dont nous parlerons ici, et plus particulièrement de la Penaeus vannamei, élevée par Lisaqua.

Une start-up innovante

Lisaqua est une entreprise de la deeptech, appliquant un modèle de start-up qui combine la vente d’un produit (la crevette) et le développement de technologies innovantes (élevage de gambas dans un environnement indoor en circuits fermés). 

Après 5 ans de développements et recherches, 4 modèles testés successivement, un soutien de la BPI de 1,4 million d’euros et deux premières levées de fonds (3M€ au total), Lisaqua réunit désormais une équipe de 25 personnes (chercheurs, biologistes, ingénieurs…) sur leur ferme expérimentale de 2 000 m2 et commercialise depuis 2022 ses gambas françaises, majoritairement auprès des restaurateurs.

L’entreprise installera prochainement sa première ferme à grande échelle à Monthyon, en Seine-et-Marne, pour un investissement de plusieurs millions d’euros. Une installation qui marque la première étape de son déploiement à grande échelle.

D’ici 2030, Lisaqua prévoit de produire 10 000 tonnes de gambas par an et de poursuivre l’implantation d’un réseau de fermes à proximité des plus grandes métropoles françaises et européennes.

Pour l’heure, elle est en mesure d’en produire dix tonnes par an sur son site pilote, situé au cœur de la zone d’activité de Saint-Herblain.

Une gambas triple zéro

Afin d’éviter le recours aux antibiotiques, tel que cela est majoritairement le cas dans les élevages en milieu extérieur, les entrepreneurs de Lisaqua ont travaillé à créer un écosystème sain à partir de l’eau du service d’approvisionnement commun, agrémenté de sels minéraux et d’un certain nombre d’organismes vivants, végétaux et animaux.

 

En effet, aux côtés des gambas sont également cultivés des micro-organismes (phytoplanctons, zooplanctons) et des invertébrés marins qui ont deux fonctions : nourrir partiellement les crevettes (cela représente environ 15% de leur apport nutritif) et dégrader les effluents générés par l’élevage (le biofloc) afin d’éviter les rejets polluants.

“ On peut tout contrôler dans ce type d’élevage. À partir du moment où notre milieu est sain, riche en bonnes bactéries, on ne laisse pas de place aux mauvaises bactéries et on empêche l’arrivée de maladies. Ainsi, nous n’avons pas besoin d’antibiotique.” nous confie Gilles Bégaud, responsable commercial.

La marque fait le choix par ailleurs de n’utiliser aucun conservateur ni intrant, notamment les métabisulfites de sodium, un additif alimentaire pointé du doigt par l’OMS (notre exposition calculée aux sulfites dépassant la dose journalière admissible).

Élevées dans des bassins à 28°, les crevettes sont plongées dans un bain glacé pour une mort quasi instantanée par choc thermique.
Elles sont commercialisées fraîches, ou surgelées afin de leur assurer une meilleure conservation et de s’adapter aux circuits de logistiques.

Un produit vraiment durable ?

Outre cet engagement “triple zéro” (zéro antibiotique, zéro rejet polluant, zéro conservateur) il restait à Lisaqua plusieurs problématiques à surmonter : l’importation des bébé-crevettes, la consommation en eau et en énergie et l’alimentation nécessaire à la croissance des crustacés.

Afin de répondre au premier enjeu et après avoir importé, pendant 4 ans, des larves depuis le continent Américain, l’entreprise a développé sa propre écloserie.
Les gambas naissent désormais, en partie, sur place et sont ensuite élevées durant près de 4 mois dans différents bassins, avant d’être pêchées et commercialisées.

Concernant le second enjeu et la question énergétique, si la ferme nantaise n’est pas modèle en la matière, pour la suite de son déploiement, Lisaqua va, par la suite, s’implanter à proximité d’entreprises productrices de chaleur. Ainsi la start-up nantaise va implanter sa prochaine ferme en 2025 en Seine-et-Marne en partenariat avec Véolia et valorisera là la chaleur résiduelle issue du traitement des déchets.

Quant à l’eau, la ferme fonctionne en circuit fermé, filtrant continuellement l’eau des bassins d’élevage.

Cependant, là où le défi s’avère probablement le plus compliqué, et ce comme dans tous les modèles de pisciculture et de crustaticulture, c’est au sujet de l’alimentation.
Actuellement, les crevettes élevées par Lisaqua dépendent à 85% de farines animales et végétales non produites sur place. Bien que l’aliment aquacole choisi soit sans OGM et certifié « Friends of the Sea », ces farines restent issues, en partie, de la pêche minotière d’espèces sauvages et ont, par conséquent, un impact direct sur les ressources des océans.
Mais Lisaqua travaille avec son partenaire fournisseur d’aliment (Le Gouessant) à fournir un aliment plus durable.
D’ici l’été 2023, l’entreprise s’approvisionnera en aliments “FIFO zéro” (Fish in / fish out), dont les farines et huiles de poisson proviennent des co-produits de l’industrie du filetage, plutôt que de la pêche minotière.

“ À moyen terme, on vise à incorporer des farines d’insectes ou de microalgues dans l’aliment pour remplacer les farines de poisson. Des travaux de R&D sont prévus avant de déployer cela à grande échelle.” nous indique Gabriel Boneu, président de Lisaqua.

Quant à savoir si on peut parler de bien-être animal quand ces jolis petits crustacés ont quitté les fonds naturels de l’océan, la biodiversité de sa faune et sa flore, ses paysages marins et accidentés, pour ne découvrir plus que l’environnement rectiligne et uniforme d’un bassin hors sol… (rappelons que c’est le cas de toutes les gambas issues de l’aquaculture), chacun se fera son avis sur le sujet et interrogera, en conscience, l’impact de sa consommation de crevettes et les conséquences inévitables d’un tel élevage local qui se veut pourtant répondre à un maximum d’enjeux écologiques.