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Jean-Philippe Gallas qui pêche

Pêche aux coques (baie de La Baule)

Texte : Laurence Goubet
Photos : Paul Stefanaggi

D’aussi loin que remonte notre civilisation, l’Homme a toujours pratiqué la pêche, piégeant les poissons habitants les rivières peu profondes, les étangs et zones humides, voire des torrents de montagne. Mais aussi, en cueillant au gré des marées, sur les estrans rocheux et dans les flaques laissées par l’océan, divers coquillages, mollusques et algues. En témoignent les monticules de coquillages fossilisés découverts sur de nombreux sites archéologiques le long des côtes du Monde entier, tels les restes de repas des habitants des grottes de la préhistoire.

Il n’est alors pas étonnant de constater que ces zones côtières étaient très appréciées des premiers hommes chasseurs-cueilleurs qui bénéficiaient là de ressources maritimes abondantes. Leur consommation, naturellement riche en acides gras oméga-3 pourraient d’ailleurs avoir très largement contribué au développement cognitif du cerveau de l’Homme depuis l’ère Néolithique.

Jean-Philippe Gallas qui part pêcher

Une ressource infinie ?

Pour ces premiers aventuriers des mers, la pêche se fait sans danger, se limitant aux zones exondées par les marées et avec pour seul outil les mains. Du littoral Atlantique à la Mauritanie occidentale, l’Homme découvre les bivalves, petits crustacés et gastéropodes qui habitent leurs côtes. Les moules, patelles, huîtres plates, coques, palourdes et bigorneaux servent avant tout de nourriture, parfois d’appât, et plus occasionnellement d’outils, de teinture, voire d’objets de parure.

L’exploration des ressources de l’estran ne cessera dès lors. Ainsi, à l’Antiquité, l’huître, ramassée sur les bancs naturels, occupe une place de choix. Les Romains lui vouent une véritable passion et ne peuvent concevoir un banquet sans elles, les faisant voyager vivantes depuis la mer des Santons (aujourd’hui, les Charentes). Les Grecs, quant à eux, lui prêtent une valeur aphrodisiaque.

Pendant très longtemps, l’huître, tout comme d’autres coquillages, est considérée inépuisable. On la ramassait aux grandes marées, à l’aide d’un couteau, pour la consommer aussitôt, et plus rarement la stocker dans des parcs. Mais au 18ᵉ siècle, et régulièrement dès lors, les gisements s’épuisent et plusieurs arrêtés locaux, à Tréguier, Cancale ou Arcachon en interdisent la pêche, temporairement, afin de préserver les stocks.

En Loire-Atlantique, où ce reportage nous emmène, la richesse reconnue des gisements de coquillages (coques, huîtres, moules…) a toujours attiré de nombreux pêcheurs à pied, imposant aux organismes locaux la mise en place d’une politique de gestion des gisements afin de les préserver durablement.

Jean-Philippe Gallas qui pêche

La pêche aux coques

C’est dans la baie de la Baule que nous avons rendez-vous de bon matin avec Jean-Philippe Gallas qui y pratique la pêche de manière professionnelle depuis plus de 30 ans. Mais ce jour-là, la mer tarde à se retirer. Profitant des bourrasques d’air iodé et alors que les embruns marins nous recouvrent le visage, nous patientons sur le rivage aux côtés des gardes-jurés présents à chaque marée. Avant chaque pêche, les professionnels ont obligation de se signaler auprès d’eux.

Lors des grandes marées, il peut y avoir plus de 100 pêcheurs professionnels ici”

Ils sont pourtant seulement 208 pêcheurs professionnels de toute la France à détenir la licence de la pêche aux coques en baie de la Baule… et presque autant qui aimeraient l’acquérir.

Jean-Philippe, lui, les possède toutes : coques de la Baule, coques de Pen Bé, coques du traict du Croisic mais aussi palourdes, moules, huîtres et “autres animaux marins”, une catégorie globale qui regroupe les bigorneaux, couteaux, crevettes… 

La mer finit par descendre un peu et nous nous engageons sur la plage. Le temps est compté. Deux heures avant et une heure après la basse mer, c’est le créneau accordé aux pêcheurs professionnels pour aller à la recherche du coquillage emblématique de la baie : la coque.

Elle est délicieuse. Elle a d’ailleurs un goût légèrement différent des coques du traict du Croisic.”

Enfouies dans le sable, il faut descendre dans les zones basses de l’Estran pour les récolter. “Parfois on parcourt jusqu’à 2 km”. Après plusieurs centaines de mètres, l’équipe s’arrête. Courbé vers le sol, un râteau dans chaque main, Jean-Philippe gratte le sol. “Ici en Baie de La Baule on gratte les zones encore humides, tandis qu’en Baie de Somme, la mer se retire tellement que les pêcheurs grattent plutôt les zones sèches”. D’un geste énergique cet irréductible amoureux de l’Océan, ramène le sable dans son sas (appelé venette ailleurs), sorte de panier treillagé qu’il secoue vigoureusement pour ne récolter que les coquillages d’une certaine taille. Pour tous les pêcheurs, plaisanciers ou professionnels, la taille est réglementée (3 cm pour ce gisement et 2,7 cm ailleurs). Tout ce qui passe à travers les mailles restera sur place pour une prochaine pêche. “Ici la coque grandit très rapidement. Juste à côté, au Pouliguen, elle pousse bien plus lentement. Mais dans tous les cas, il ne sert à rien de pêcher les juvéniles. Elles auront atteint la taille autorisée d’ici quelques mois.”

Jean-Philippe ne ratisse pas au hasard. Si les touristes guettent les trous minuscules, visibles à la surface du sol et qui trahissent la présence de coques enfoncées dans le sable, lui connaît par cœur tous les gisements de la région. Plus la saison avance, plus il faut s’enfoncer au large afin de pêcher dans des zones encore non explorées.

Alors que la mer revient déjà, Jean-Philippe et ses acolytes remontent l’estran, sa récolte chargée sur son vélo sans selle ni pédale et qu’un copain a bricolé pour ajouter une assistante électrique. “On n’est plus tout jeune, une fois le vélo chargé, ça fait son poids !” 

En chemin, il nous avoue à quel point il est heureux de voir que son métier évolue dans le bon sens pour toute la profession et en concertation avec les plaisanciers. “J’ai une super vie !”. Avant de revenir au bivalve qu’il chérit tant et de nous confier sa recette préférée : “Je les préfère nature, versées dans une casserole à feu vif, dès qu’elles sont ouvertes, je les secoue 3 fois et c’est tout. C’est ainsi qu’on en apprécie toute la finesse. On peut d’ailleurs aussi les manger crues”.
Pour les amateurs présents sur la plage, ce sont aussi les recettes simples et classiques qui ont le plus de succès “échalotes, chenin, ail et plein de persil. Je les cuis 2 minutes et ensuite on les mange avec les doigts !” nous confie l’une d’elle, un éclair de gourmandise dans les yeux.

Si la plupart des pêcheurs vendent directement leur pêche aux mareyeurs (entre 2,5 et 3 € le kilo de coque), Jean-Philippe lui préfère favoriser la vente en direct. Jusqu’à ce qu’il cède son atelier, il épurait lui-même sa pêche du jour pendant 48 heures dans des bassins d’eau de mer filtrée aux UV, où le courant ainsi créé permet à chaque coquillage de recracher jusqu’au dernier grain de sable. Sa récolte traitée avec le plus grand soin (et constamment testée par les services sanitaires) était ensuite vendue sur les marchés, aux restaurants ou à l’entreprise Poiscaille, acteur majeur de la pêche durable en circuit-court. Pris par ses nombreux engagements, depuis quelque temps le besoin de lever le pied s’est fait sentir. Désormais, Jean-Philippe vend sa récolte aux acquéreurs de son atelier, qu’il s’est moralement engagé à fournir, tant qu’ils poursuivent le travail avec la même qualité que celle qu’il a initié.

Une pratique réglementée

La baie de La Baule reste l’un des plus importants gisements de coques de France, avec la baie de Somme, imposant une gestion fine et une réglementation précise. Pour le préserver, durablement, les autorités y interdisent la pêche aussi bien professionnelle que de loisir une bonne partie de l’année, tenant compte de la quantité et de la qualité des coquillages disponibles. 

L’objectif est d’œuvrer pour la pérennité de l’espèce et de laisser un maximum de coques en mesure de se reproduire. Pour Jean-Philippe et les professionnels de la région, la quantité maximale par jour est actuellement fixée à 90 kilos. Pour les amateurs, par ailleurs limités à l’utilisation d’un râteau à 3 dents, elle sera de 4 kg par personne. Bien plus qu’il n’en faut pour un copieux dîner !

En matière de réglementation, Jean-Philippe Gallas en connaît un rayon. Et pour cause, il est président de la commission pêche à pied du comité national des pêches et président de la commission pêche à pied de Loire-Atlantique au sein du comité régional. Un rôle qui n’existait pas avant qu’il ne décide d’aller toquer à la porte de l’administration pour que sa profession soit reconnue et réglementée.

Si la question de la protection des ressources est apparue essentielle depuis de nombreuses années, ici et jusqu’à 2005, la seule obligation pour devenir pêcheur à pied professionnel était de détenir un permis non contingenté. À l’instar du gisement de coques de La Baule en 2004, nombre d’entre eux ont connu une véritable invasion. Il aura fallu lutter contre le braconnage, structurer la profession et mener des études scientifiques pour parvenir, depuis quelques années, à la mise en place d’une gestion adéquate en accord avec les amateurs et l’ensemble des professionnels. Ainsi Marie Foucart, coordinatrice de la filière coquillages au COREPEM (Comité Régional des Pêches et des Élevages Marins en Pays de la Loire) nous confie

Il était fondamental d’encadrer la pêche et faire évoluer cet encadrement en fonction de l’évolution de l’état de la ressource et de l’effort de pêche, pour non seulement pérenniser les gisements, mais aussi assurer la durabilité de l’activité des pêcheurs à pied.”

Aujourd’hui, grâce aux suivis scientifiques de l’état de la ressource sur les gisements et aux déclarations mensuelles de pêche, la commission définit les conditions de pêche en fonction de l’état biologique des populations de coquillages.

Les engagements de Jean-Philippe inspirent d’ailleurs son voisin et ami Jean-Marie Pédron, cueilleur professionnel d’algues au Croisic qui aimerait voir exister une réglementation similaire quant à la récolte des végétaux marins.


Pour autant la réglementation ne suffit pas toujours. Depuis 5 ans Jean-Philippe regrette de ne plus pouvoir pêcher la moule de roche “C’est une merveille. Elle a un goût très prononcé”. Pour une raison que les scientifiques n’arrivent pas à justifier celle-ci ne développe plus assez de byssus, les filaments avec lesquels le coquillage s’accroche au rocher. “À chaque passage d’une grosse vague, elles sont emmenées au large”. Une conséquence possible du dérèglement climatique ou de la pollution des océans.