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Peut-on manger des huîtres toute l’année ?

Texte de Laurence Goubet
Photo de Paul Stefanaggi

Partout en France, et pas seulement dans les villes côtières, les bourriches d’huîtres garnissent les étals des poissonniers toute l’année. Et pour cause, ces huîtres sont le plus souvent des huîtres triploïdes et ont ceci de “magique” qu’elles ne sont jamais laiteuses, ce qui lui vaut le surnom d’ “huître des quatre saisons”.

En effet, par une modification génétique datant des années 90 et désormais très répandue, l’homme a trouvé le moyen de rendre l’huître stérile, empêchant la formation de sa semence laiteuse et lui permettant ainsi d’être consommée toute l’année. Désormais, ces huîtres modifiées représentent la majorité des ventes d’huîtres en France, si bien qu’il n’existe plus un seul producteur d’huîtres naturelles en Loire-Atlantique (à notre connaissance).

Mais cette modification génétique visant la stérilité de l’animal ne risque-t-elle pas d’avoir un impact sur la biodiversité des écosystèmes marins ?

Une huître japonaise

Symbole des pratiques les plus ancestrales de pêche, qui consistaient à la cueillir sur les rochers, l’huître n’a à présent plus rien de sauvage et naturel. D’ailleurs, l’espèce que l’on déguste aujourd’hui, Crassostrea Gigas (l’huître creuse japonaise), a été importée sur nos côtes dans les années 70, en remplacement des huîtres portugaises frappées par une maladie mortelle.

Ajoutons aussi que près de la moitié des larves d’huîtres (le naissain) élevées en France proviennent d’écloseries qui pratiquent la sélection génétique selon la résistance des mollusques aux agents pathogènes.

Un produit saisonnier

Selon le cours naturel des choses, l’huître se reproduit entre mai et août, période durant laquelle elle produit sa semence et arbore cet aspect laiteux que les consommateurs aiment peu. Il fut donc d’usage de lire que l’huître se consomme durant “les mois en r” (de septembre à avril).

Mais parce que l’Homme a parfois d’incompréhensibles exigences et n’aime pas devoir se passer des mets qu’il préfère durant les belles soirées d’été, tandis qu’il se mettait à cultiver des tomates sous serres chauffées et des fraises hors-sol en hiver, il a également souhaité pouvoir consommer des huîtres en été. Et c’est ainsi que les huîtres triploïdes non laiteuses durant l’été, ont, petit à petit, gagné du terrain jusqu’à remporter la bataille et devenir la norme sur les marchés, tout au long de l’année.

Qu’est-ce qu’une huître triploïde ?

L’huître triploïde est en fait une huître génétiquement manipulée pour que ses cellules comptent trois exemplaires de chaque chromosome, au lieu de deux.
Explication : le matériel génétique de l’huître se compose, en temps normal, de 10 paires de chromosomes (des doublets). En effet, tout comme les humains, les chromosomes des huîtres sont groupées par paires : elle est donc «diploïde».
L’huître triploïde, elle, a vu ces paires être remplacées par des triplets, comptant ainsi trente chromosomes au total, ce qui la rend stérile.

Conséquence de cette non-possibilité de reproduction, les huîtres triploïdes sont exclusivement produites en écloserie (nées dans des bassins à terre, elles sont sélectionnées et nourries par des cultures de phytoplancton avant d’être immergées dans le milieu naturel). Quand l’huître naturelle est, quant à elle, captée sur son site de production grâce à des capteurs de naissains et mise en poche pour grossir naturellement là où elles se sont vues naître. 

Des OGM ?!

Les huîtres triploïdes se sont particulièrement généralisées à la fin des années 90 et au début du 21è siècle grâce aux recherches de l’IFREMER qui avec les écloseries françaises a expérimenté plusieurs techniques de transformation génétique. Initialement, la modification des chromosomes fut provoquée par des chocs chimiques et thermiques. Désormais, la principale méthode consiste à développer des « super-géniteurs », des tétraploïdes (eux aussi obtenus par manipulation génétique), dotés de dix lots de quatre chromosomes, dont les services sont vendus aux écloseries, lesquelles les croisent avec des huîtres diploïdes, afin d’obtenir une huître triploïde (dans la reproduction, chaque descendant garde la moitié des chromosomes de chaque parent, soit 2+1= 3)

Il ne s’agit pas, pour autant, d’organismes génétiquement modifiés (OGM) au sens où l’entend la réglementation, car aucune caractéristique génétique nouvelle n’est introduite dans l’animal. Il s’agit en fait d’un Organisme Vivant Modifié.
Et, pour ce qui concerne les OVM, il n’existe pas de réglementation sur le sujet nécessitant une mention de cette transformation ou un étiquetage obligatoire. Ce qui rend particulièrement difficile la possibilité de les suivre et de quantifier la part de marché réel qu’elles représentent (d’autant qu’elles se différencient difficilement à l’œil nu).

Une solution pas si miraculeuse...

 

D’emblée, ces innovations avaient de quoi séduire la profession. En évitant à l’huître son cycle de reproduction, les chercheurs ont pu empêcher sa période de laitance qui la rend moins attractive pour le consommateur. Rapidement nommée « huître des quatre saisons » pour séduire le consommateur, l’huître triploïde a ainsi envahi les étals et séduit les professionnels qui y ont vu un moyen d’augmenter leurs débouchés et de lisser les coûts par l’étalement des ventes sur l’année.
L’huître triploïde présente également l’avantage de grossir plus vite, puisqu’elle ne perd pas son énergie à se reproduire. Sa période de production est donc réduite en moyenne de trois à deux ans. 

’huître triploïde est donc apparue comme étant la meilleure solution : une huître prête à être consommée seulement au bout de 2 ans, et ce toute l’année… il n’en fallait pas plus pour convaincre la profession, dans sa grande majorité, motivée par les perspectives de croissance et de compétitivité qu’offraient ce produit issu de la recherche biotechnologique et de l’innovation.

Mais, depuis les années 90, des surmortalités au sein des naissains et des huîtres juvéniles affectent les stocks d’huîtres creuses de l’ensemble des écloseries et des parcs français, entraînés à produire à outrance par cette industrialisation.
Cette hécatombe est largement imputable à un variant de l’herpès virus de l’huître, appelé OsHV-1 et à la bactérie vibrio aestuarianus qui n’ont cessé de se développer, et coïncide curieusement avec l’introduction massive des triploïdes dans le milieu (comme le constatent les professionnels dans le documentaire ci-dessous).
Par ailleurs, les huîtres triploïdes souffrent d’une vulnérabilité bien plus importante aux agressions bactériennes qui leur font supporter de plus en plus mal les opérations d’élevage et d’expédition (intuitivement, on pourrait se dire qu’il n’y a rien d’étonnant à cela quand on sait que les personnes atteintes d’une anomalie chromosomique, tels que la trisomie 21, présentent d’importants cumuls de comorbidités).

Regroupés au sein de l’association “Ostréiculteur traditionnel”, les défenseurs des huîtres naturelles (c’est-à-dire nées naturellement en mer) pointent le manque de données scientifiques sur les animaux triploïdes, les risques sanitaires liées à leur culture et l’absence de mesure de leur potentiel impact sur la biodiversité des écosystèmes marins.
Outre les maladies issues des écloseries industrielles, l’un des risques serait notamment que les huîtres tétraploïdes (dont initialement l’Ifremer avait seule la charge de la production, mais qui désormais sont produits par des organismes aquacoles certifiés) se retrouvent dans les milieux naturels… ce qui provoqueraient de rendre stériles les huîtres diploïdes qui s’y trouvent.

Et preuve que le sujet fait débat, quand l’IFREMER a voulu introduire, à son tour, les moules triploïdes pour une mise en culture en milieu ouvert sur le modèle des huîtres, les mytiliculteurs, alarmés par la grave crise de mortalité de 2008 sur les huîtres triploïdes, ont catégoriquement refusé cette mise en production. Cependant, malgré cette féroce opposition de la profession, l’IFREMER poursuit depuis ces travaux et les expérimentations, indiquant que son objectif est de “garantir autant que possible l’indépendance, la qualité et la durabilité de la filière mytilicole Française” (source), s’opposant ainsi aux professionnels de la filière directement concerné par la pérennité de ces cultures.

POUR EN SAVOIR +

Association ostréicole pour la valorisation de l’huître née en mer : Voir le site

Où trouver des huîtres naturelles : Voir la carte

Podcast : En Bretagne: menace sur lʹhuître naturelle (RTS)
Podcast : Food Revolution – Sauvetage en mer