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Eric Guérin, cuisine humaine et sensible

Date : 01/02/2022
Texte : Laurence Goubet
Photos : Paul Stefanaggi

Au cœur de la Brière, depuis 25 ans, Éric Guérin dirige l’hôtel et restaurant La Mare aux Oiseaux, un lieu enchanteur, unique et inspirant dans lequel il sert une cuisine délicieuse, emplie de poésie et de délicatesse, qui lui vaut d’être récompensé d’une étoile au Guide Michelin depuis 2000.

Avec toute l’attention et l’intelligence qui le caractérisent et la passion qui l’anime, il pose sur la gastronomie une réflexion profonde et bienveillante prenant en compte l’humain, le vivant, la nature et les émotions. 

Amoureux de son terroir, il a créé des liens profonds avec ses producteurs qui lui fournissent des produits de premier choix et dont il cherche à sublimer les moins communs d’entre eux, révélant ainsi la richesse de leur travail.

Fort de cette sensibilité, Eric Guérin inspire aujourd’hui toute une génération de cuisiniers.

Rencontre avec un chef profondément humain et engagé qui interroge humblement l’évolution du secteur de la restauration et le bien-être de ses équipes.

Comment définissez-vous votre cuisine ?
Ma cuisine est résolument libre de toute forme imposée, elle est vivante et se partage avec mes coéquipiers. Si je suis à l’origine de chaque création qui passe par le dessin, la réalisation et le dressage sont quant à eux portés à l’appréciation de tous. 
Ensemble, nous cherchons à faire évoluer la cuisine dans un même sens, inspirant pour tous, de la salle à la cuisine, en passant par la sommellerie.
La réflexion est générale, chacun y apporte son ressenti et trouve le sens à donner à chaque impulsion pour qu’elle rentre dans l’ordre établi au pays des oiseaux. 
Ma cuisine reste un de mes modes d’expression que je transmets et partage afin de donner un sens à la vie. Une orientation “éco-responsable”, mais aussi sociale, économique et artistique. Elle me sert de lien avec la jeunesse qui m’entoure, me garde constamment en éveil sur le monde et ouvre le partage à tous horizons. 
Ma cuisine est un véritable bouillon de culture. 

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Ma cuisine s’inspire du vivant, du Monde qui m’entoure, celui que je me suis créé dans ma tête encore pleine de rêves d’enfants. Un Monde ouvert sur les autres et apte à la création. Celui qui me permet l’écriture, le dessin ou la photo pour raconter mes fables gourmandes et surtout transporter mes hôtes au cœur de mes jardins secrets. Celui de la Brière, magique et mystérieuse, des odeurs, des bruits, des couleurs et de toutes les émotions qui s’en dégagent.
Je m’inspire de la presqu’île de Guérande pour m’envoler d’un marais à l’autre, goûtant le sel, ou la tourbe, profitant des merveilles de l’Océan ou de l’eau douce.
Je m’inspire aussi des artisans qui m’entourent, quand ils aiment et défendent les mêmes émotions, la vie, la nature, les Hommes et cherchent l’harmonie.
Enfin je m’inspire de mes respirations, de mes contemplations, de chaque petit détail qui fait que le Monde est vivant. Ma besace est riche de cultures différentes, glanées au-delà de nos frontières. Je me sers de ces impressions d’ailleurs pour donner vie à quelques voyages intérieurs.

Je n’ai absolument pas peur de dire que l’amour est l’ingrédient secret de tout mon univers, lié à une intention collective positive.

Vous avez un rapport presque fusionnel avec votre terroir… 
Je vois dans le mot terroir des racines solides et profondes qui s’accrochent à la terre et s’en nourrissent pour donner vie à une plante ou un arbre tournés vers la lumière. Ma terre m’inspire, car elle insuffle le mouvement. Pour cela il faut donner du sens à chaque geste, à chaque rencontre, choisir ses artisans, les respecter comme ils respectent leur art, être proche d’eux, prendre le temps de les écouter pour former une chaîne vertueuse. Ensemble nous allons proposer des produits, au rythme des saisons, mais aussi des caprices de la nature.
Pour cela, j’ai créé un poste qui est dédié aux producteurs. Chaque semaine, Benjamin va à leur rencontre sur le terrain et me ramène les informations nécessaires à la création de mes recettes pour la semaine suivante.
Ce lien est devenu le fil conducteur de ma cuisine. Un travail en partenariat avec mes producteurs, un lien régulier, une confiance qui règlent mes envies, provoquent mes réalisations en fonction des disponibilités, sans oublier de faire “tourner” les différentes personnalités qui attendent de travailler à nos côtés.

Comment choisissez-vous les producteurs et artisans avec qui vous travaillez ?
Je ne les choisis pas, ce sont eux qui viennent à nous. Depuis que nous avons mis en place avec Benjamin notre petit tour, depuis que nous avons gagné la confiance des plus authentiques, le bouche-à-oreille a fonctionné. « Va donc voir Cécile de ma part” ou “Tu devrais aller frapper à la porte de Paul”. “Tiens si tu cherches des œufs va voir Yvan”…
Inversement certains viennent à notre rencontre, conseillés par les autres.
C’est une fois de plus la sincérité de la relation et le respect du travail de l’autre qui dégage l’énergie positive et engendre un mouvement collectif.

Quels liens vous unissent à ces producteurs ?
Ma cuisine est proche de mon environnement, elle offre ce qu’il y a de meilleur autour de la Brière. Pour cela une personne et une seule fait le tour des producteurs, récoltant le fruit du travail des uns et des autres en un seul trajet.
À l’écoute, elle se construit en fonction des besoins : trop de haricots, plus de fraises, chaque message est un signal qui va me servir à écrire ma partition et ainsi éviter les gaspillages. 
En cuisine chaque produit est travaillé avec respect, nous utilisons la peau, la pulpe, le jus, les pépins pour faire un minimum de déchets que nous déposons sur le compost du partage vert en face de la Mare aux Oiseaux. 
Après un long travail, nous avons fait disparaître les montagnes de polystyrène qui arrivaient chaque matin avec le poisson. Nous avons trouvé une solution de bacs consignés et réutilisables à volonté, réduisant ainsi nos déchets. Un distributeur d’eau Ozone limite notre utilisation de produits d’entretien. Dans les assiettes et depuis de très longues années, nous nous sommes penchés sur l’utilisation de poissons non issus de la surpêche. La vive, le chinchard, la vieille, le mulet par exemple ont toujours eu la part belle dans mes créations malgré les attaques de certains clients qui ne comprenaient pas la démarche. Voilà plus de 15 ans que je défends le Silure, cet envahisseur de nos cours d’eau, afin de lui donner une place de choix dans notre alimentation. C’est un poisson sauvage qui pullule dans nos rivières mettant en danger la biodiversité locale.

Il est important de réfléchir aux solutions pour allier vie professionnelle et vie privée, pour apporter plus de souplesse. À la Mare aux Oiseaux, depuis le mois de juin, nous fermons la cuisine à minuit, afin de ne plus voir les équipes trainées pour une table tardive.

Comment vous efforcez-vous d’avoir une cuisine éco-responsable ?
Éco-responsable pour moi reste un mot pour se donner bonne conscience, je ne suis pas les modes, je respecte mon environnement depuis toujours et je ne peux concevoir de faire autrement. 
Je suis un chef engagé, sincère et tourné vers les autres. J’ai fait de l’humain ma pierre angulaire et de ma maison mon chemin de vie.
La cuisine est mon mode d’expression, mais ce qui m’intéresse avant tout c’est la Maison et les gens qui l’habitent et la traversent. Je cherche à ce que chaque personne qui travaille avec moi y trouve un épanouissement personnel et émotionnel. 
Je n’ai absolument pas peur de dire que l’amour est l’ingrédient secret de tout mon univers, lié à une intention collective positive.

Comment percevez-vous l’évolution actuelle de votre métier ?
La restauration est un vieux métier en perpétuelle évolution et pourtant certaines choses restent figées. Si hier, les gens de la salle portaient haut et fort les valeurs de notre Maison, alors que les cuisiniers se cachaient derrière les fourneaux, aujourd’hui, ces derniers sont sur le devant de la scène.
Supportant la parole de notre profession, ce revers engendre beaucoup de changements, notamment dans la gestion des hommes et des femmes qui nous accompagnent. 
Hier encore, nous étions sur une voie de garage fréquentée par des jeunes en situation d’échec scolaire ou social. Pour les diriger et leur transmettre les règles de l’excellence, il fallait être dur et intransigeant. De nos jours, les candidats ont envie de rêver, ils cherchent l’épanouissement au travers de leur profession. Dans les médias, les Chefs parlent de création, de nature, de cueillette au jardin et d’équipe. Il est donc indispensable d’intégrer une réalité entre le discours et la réalité si on veut les garder et leur donner ce pour quoi ils sont venus à nous. 
De même, il est important de réfléchir aux solutions pour allier vie professionnelle et vie privée, pour apporter plus de souplesse. À la Mare aux Oiseaux, depuis le mois de juin, nous fermons la cuisine à minuit, afin de ne plus voir les équipes trainées pour une table tardive. Nous avons également pris la décision de fermer 2 jours et demi par semaine, pour nous rapprocher de la société dite normale qui est en week-end du vendredi soir au dimanche soir. 
Ces petits plus changent réellement notre quotidien et nous permettent d’aller chercher à nouveau l’épanouissement de chacun des employés et des chefs d’entreprises. Et par la même occasion de renforcer l’équilibre de notre Maison, tout en améliorant l’efficacité et le travail.