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Les Landes vivantes cultive le thé en Loire-Atlantique

Parmi ces diverses actions, l’association Les Bouillonnantes organise des visites chez des artisans et temps d’échanges entre les Chefs du bassin nantais et les paysans et artisans de la région. Nous vous racontons ici ces rencontres.

Date : 02/08/2023
Texte : Evaine Merle
Photos : Evaine Merle

À Treffieux, Thomas Bernardi cultive dans sa ferme Les Landes Vivantes, conduite en Agriculture Biologique, des petits fruits, du poivre de Sichuan et… du thé. Une production peu connue en France qui tend à s’étendre dans l’ouest, la région du Camélia, ainsi que dans les Pyrénées, de manière encore confidentielle.

Nous arrivons à Treffieux le jour de l’installation du système d’irrigation des champs, une étape à célébrer pour le paysan, installé depuis 2019. Thomas, un chapeau de paille sur la tête pour se protéger du haut soleil de l’après-midi, nous accueille tout près du jardin pédagogique, potager nourricier qui recèle de denrées comestibles de toutes les couleurs, de toutes les hauteurs.

Un cadre bucolique dans lequel on se perdrait volontiers. Il nous averti dès le départ : ce métier, il ne l’a pas choisi par passion mais par conviction « Je suis devenu paysan par militantisme, je ne me suis pas dit « trop cool allez je vais travailler 70 heures par semaines sans être payé, ça va être super », alors que j’avais un CDI ». Il poursuit « Il se passe plein de trucs qui ne me semblent pas convenables. C’est difficile de savoir comment on peut avoir une prise sur le réchauffement, la pollution, la biodiversité qui se casse la gueule … ».

L’agriculteur décide de se consacrer à la production de thé français et BIO, complété par une gamme de petits fruits qu’on trouve rarement dans les commerces de bouche. Pourquoi le thé ? « Le thé c’est la deuxième boisson la plus bue au monde et, souvent, ça fait des milliers de kilomètres pour arriver dans nos tasses, ça pose question ».

Sur une prairie anciennement pâturée par des bovins, il plante environ 1000 fruitiers et 5000 théiers, Camelia Sinensis, dont il vend les premiers fruits et les premières feuilles en 2021. Se procurer des plants de théiers n’est pas chose aisée. Thomas trouve alors l’aide de Denis Mazerolle qui, avec sa femme Weizi, produit du thé dans la Vallée du Blavet sous le nom Filleule des Fées.

Depuis quelques années, le couple s’est également lancé dans la vente de graines, de plants de théiers acclimatés ainsi que dans l’accompagnement d’une filière de producteur·ices de thé européens. En 2022, Thomas sortira 600 grammes de thé rouge (qu’on appelle plus couramment thé noir en France), « c’est un thé plutôt ambré, doré et fleuri » qu’il transforme dans son laboratoire. Les feuilles sont chauffées au wok puis oxydées. C’est un thé d’exception qui est ici proposé, une petite production, à ré infuser tout au long de la journée. Tout comme le vin, le thé possède des cépages, des cultivars.

Thomas nous emmène visiter les vergers. « Le théier, spontanément, il pousse dans un sous-bois de forêt tropicale, les conditions inverses d’ici ». Il a donc planté des arbres pour, à terme, apporter l’ombre qui manque à ses jeunes arbustes théinés. On penserait de prime abord que la région du camélia est idéale pour produire du thé, avec son hygrométrie élevée, mais le paysan nous le rappelle « ce n’est pas vraiment un climat breton en ce moment », la Bretagne et la Loire-Atlantique elles aussi souffrent des sécheresses qui tendent à s’accumuler ces dernières années.

Nous avançons entre les rangs encore jeunes, aux feuilles gorgés de chlorophylle, d’un vert profond, qui sont parfois cachés par les herbes hautes non fauchées « Je laisse une ligne sur quatre monter. Depuis que je fais ça, il y a beaucoup moins de problèmes de pucerons, de cochenilles … On va avoir des auxiliaires » qui aident à réguler les populations non désirées.

Un peu plus loin, les arbustes à petits fruits sont gorgés de baies : myrtilles (de variété Estive, qui se rapproche du goût de la myrtille sauvage), groseilles blanches et rouges, caseilles, camerises, aronias, framboises et des amélanches « il y en a un paquet cette année parce que ça n’a pas gelé. C’est un fruit à découvrir, c’est très joli. On est sur un violet rosé, on peut aussi la manger rose. ».

Les arbustes sont ponctués par des haies fruitières implantées tous les six rangs, qui limitent le parasitisme, servent de brise-vent et de niche écologique aux animaux de passage. Le jour de notre visite, les sureaux sont en fleurs, leurs ombelles blanches pleines de pollen enivrent les butineurs. Les fruits sont vendus frais mais aussi déshydratés. Une centaine de pruniers ont également rejoint Les Landes Vivantes dans le but de confectionner des prunes séchées, dont la production en Loire-Atlantique est devenue anecdotique « c’est intéressant de raviver des choses comme ça ».

Nous descendons chercher de l’ombre vers l’étang de Gruelo, zone protégée qui se trouve en contre-bas des cinq hectares de la ferme Les Landes Vivantes. Sur le chemin, les fleurs de digitales offrent des taches de couleurs roses au paysage. Encore des théiers, « Là on est sur une variété betonne, Trevarez » (mise au point par Denis Mazerolle), puis un point d’eau à l’ombre des arbres, le cadre est magnifique. Thomas aimerait y installer des tables pour déguster le thé.

D’ailleurs, l’échange fait partie intégrante du projet Les Landes Vivantes. Des ateliers pédagogiques autour du jardin écologique ou de la cuisine du potager sont organisés régulièrement, et des visites de la ferme ont lieu tous les mercredis.

Nous remontons vers la salle dédiée à l’accueil empruntant un chemin qui traverse un champ aux foins tout juste fauchés, puis le jardin pédagogique. C’est ici que prennent racine les poivriers du Sichuan, faux-poivre de la famille des agrumes dont on consomme l’écorce. Ici, les cultures se mélangent, un rosier partage l’espace avec les poivriers. Fleurs, légumes et fruits forment un parfait ensemble dans lequel on chemine avec curiosité et gourmandise.

Le fenouil bronze et son feuillage volubile apporte de la légèreté, les chrysanthèmes comestibles aux feuilles goût carotte offrent un panorama de fleurs jaunes, les haricots grimpent vigoureusement sur les tuteurs, les calendulas colorent les strates basses de ce jardin-forêt en devenir et les courgettes créent de petits buissons verdoyants. Quelques théiers se sont glissés par ici aussi, des sureaux au feuillage violet également. Tout semble se répondre, et surtout, nourrir la famille qui vit et fait vivre la ferme. Car Thomas le précise, « un paysan doit se nourrir avec ses produits, ce qui n’est pas forcément le cas tout le temps ».

« L’agriculture et la paysannerie, ça a accompagné l’humanité pendant des siècles, et il y a eu une cassure dans les années cinquante », les paysans sont devenus esclaves d’un système productiviste, standardisé, qui les exploite autant qu’il détruit les sols et maltraite les bêtes. Aux Landes Vivantes, on tente autre chose. Produire des fruits tombés en désuétude après les années cinquante, re localiser une production de thé dont l’impact écologique dû au transport paraît démesuré, en toute conscience qu’une petite production comme celle-ci ne sera pas à la portée de tou·tes (1500€ le kilo de thé), mais en tentant de le faire sans chimie, dans le respect de la terre et de ses habitant.es.

« Toute la pratique agricole et les savoirs faire ont été évaporés et, là, on essaye tant bien que mal de recoller les morceaux » expliquait Thomas à notre arrivée aux Landes Vivantes, et c’est peut être ainsi qu’il faut conclure.