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Jérémy Guivarch (Gwaien), un Chef engagé pour une pêche durable

Fervent amoureux de la Bretagne et engagé en faveur d’une pêche durable, le jeune Chef Jérémy Guivarch tend à affirmer qu’on peut proposer une cuisine de la mer tout en préservant les ressources. À partir des poissons, coquillages et crustacés de nos côtes, sélectionnés avec le plus grand soin, il compose des assiettes goûteuses et justes d’un très bon rapport qualité / prix. Une rencontre les pieds dans l’eau !

 

Votre restaurant s’appelle Gwaien, en référence à la ville d’Audierne d’où est originaire votre famille ?

En effet, mes parents ont grandi à Audierne (Gwaien en breton), mais pour ma part j’ai grandi dans le sud de la France. Mon père travaillait pour la marine nationale sur un porte-avions domicilié à Toulon. J’y ai fait mes études. Mais systématiquement, je revenais pour les vacances à Audierne. Et dès lors que j’ai commencé mes études en hôtellerie, j’y ai fait les saisons l’été.

 

Vous avez donc toujours été en contact avec la mer…
Dans le sud, j’avais un contact avec la mer qui était plutôt de loisir, alors qu’en Bretagne, la principale activité, c’était d’aller à la pêche avec mon grand-père. Et c’est de là qu’est née ma passion pour la mer. J’ai passé beaucoup de temps sur le bateau avec mon grand-père et ensuite, en cuisine, avec ma grand-mère.

 

Quel type de pêche votre grand-père pratiquait-il  ? 
Une pêche de loisir, côtière, avec beaucoup de lignes et de filets maillants. Il m’a tout appris sur les techniques de pêche. Son bonheur était de nous voir sortir des poissons. La pêche était le seul moyen de me faire lever tôt le matin quand j’étais ado ! 

C’est aussi à ce moment-là que vous avez appris à cuisiner le poisson ? 
Effectivement, dans un premier temps, en regardant ma grand-mère bretonne faire. J’ai beaucoup posé de questions et beaucoup observé. 

 

J’ai pris conscience que l’Homme est en train de tout abîmer et je me suis remis en question. Nous avons un devoir d’information et d’éducation envers nos clients, en prêchant la bonne parole et les bonnes pratiques.

D’où est venue votre vocation pour la cuisine ? 
Je n’en ai pas la moindre idée. J’ai un oncle qui est pâtissier-boulanger. J’ai donc essayé la pâtisserie. Mais après un stage en pâtisserie dans le sud de la France, qui s’est très mal passé, un chef m’a pris sous son aile et m’a fait découvrir la cuisine. À ce moment-là, j’ai compris que si la pâtisserie n’était pas pour moi, à l’inverse la cuisine titillait quelque chose en moi. J’ai eu la chance d’être suivi par mes parents qui ont accepté que je parte en lycée professionnel. À cette époque, ce n’était pas très bien vu…

Parlez-nous de votre parcours avant l’ouverture de Gwaien
J’ai commencé par un BEP et CAP, puis un baccalauréat professionnel dans le sud de la France. J’ai effectué plusieurs stages, notamment en Afrique du Sud, en Espagne, en Suisse… dans des établissements plutôt gastronomiques. Cela m’a permis de me rendre compte que ce n’était pas exactement dans ce genre d’endroits que je voulais travailler.  Tous les étés, je revenais et je travaillais dans le même restaurant à Audierne, à proximité de la maison familiale. J’ai ensuite travaillé dans un restaurant traditionnel (Le Serment de Vin) à Rennes pendant 6 ans. À cette période, je ne faisais pas tellement attention aux produits, ils étaient frais, mais pas forcément de saisons. Il n’y avait pas d’engagement pour une pêche durable. Puis j’ai passé 1 an en Normandie, et en mai 2013, je suis arrivé à Nantes, pour prendre le poste de Chef au Baco Saveurs où je suis resté jusqu’en 2019. Quand les propriétaires ont finalement décidé de vendre le restaurant, j’ai su qu’il était temps de me lancer et d’ouvrir le mien.

Quels chefs vous inspirent particulièrement ?
Je m’inspire de nombreux chefs, comme Christopher Coutanceau, les Chefs Japonais (et leurs techniques précises pour le travail du poisson), Alain Passard… mais aussi les jeunes chefs de la nouvelle garde comme Matthias Marc ou Tom Meyer qui sont très inspirants. Cette nouvelle génération est très centrée sur les produits et la saisonnalité. Il y a 15 ans, quand je démarrais, ce n’était pas aussi répandu. 

Lorsque vous avez ouvert Gwaien, le but était de forger votre propre identité culinaire. Laquelle ? 
C’est l’identité d’un Breton qui a été adopté par Nantes et qui s’est laissé surprendre par son terroir riche. 
Les produits de la mer sont au centre de ma cuisine. C’est mon ADN. J’aimerais qu’ils le soient encore davantage. Sur l’ensemble de ma carte, il n’y a qu’un seul plat avec de la viande. Je propose souvent des associations terre/mer. Mais, je pense que j’ai une clientèle qui n’est pas prête non plus à ce que mon offre soit 100% mer. Si cela ne tenait qu’à moi, ce serait le cas. Peut-être qu’un jour, je me le permettrais d’ailleurs…

Les poissons ont une place prépondérante dans vos assiettes, comment vous approvisionnez-vous ? 
Je travaille avec deux grossistes qui sont Cap Marée et Berjac. Mais je travaille seulement avec 1 personne au sein de ces structures. Et c’est grâce à ces personnes-là, qui me connaissent depuis longtemps et qui savent ce que je veux ou ne veux pas, que j’arrive à  avoir tel ou tel produit en particulier. Alexis Houssay, acheteur chez Berjac, sélectionne précisément les poissons en fonction de mes critères. C’est un véritable lien de confiance.

Grâce aux sélections de ces deux fournisseurs, je peux bénéficier de poissons issus uniquement de nos côtes (de Brest à Royan), toujours de saison et avec une méthode de pêche douce.

Je fais en sorte que tous les poissons que je cuisine soient issus d’une pêche durable et responsable et d’éviter les techniques dévastatrices, comme le chalut. J’évite aussi les poissons hauturiers (pêchés en haute-mer).

Avez-vous un lien direct avec certains pêcheurs ? 
Non malheureusement. Nantes n’est pourtant pas si loin de la côte, mais malgré tout trop loin pour entretenir un lien direct avec les pêcheurs. Il n’existe actuellement, à ma connaissance, pas de circuit-court entre pêcheurs et restaurateurs.

Qu’est-ce qu’une pêche durable ? 

Une pêche qui respecte les fonds marins, les ressources, la biodiversité et la mer en général. Cela implique donc des critères en termes de taille de pêche des poissons, de méthode de pêche et de saisonnalité (afin d’éviter les captures pendant les périodes de reproduction notamment). J’ai beaucoup appris du guide des espèces d’Ethic Océan que j’utilise souvent. Ainsi, même si j’aimerais parfois proposer du cabillaud Skrei, étant donné qu’il ne reste qu’une toute petite zone où il n’est pas menacé, je m’en empêche.

Je ne sers pas non plus de saumon, sauf exceptionnellement à la période de Noël, car on m’en demande, mais ce n’est pas un poisson que j’aime travailler. Quant au bar, je ne le travaille que 2 fois dans l’année. D’ailleurs, Berjac a décidé, très judicieusement, de ne plus en proposer l’hiver durant sa période de reproduction. C’est un choix qui me permet de faire prendre conscience aux clients que le poisson doit être consommé en fonction des saisons. Ainsi, je partage cette démarche et mes choix avec mon équipe en salle, pour qu’à son tour, elle puisse l’expliquer aux clients, qui sont de plus en plus attentifs au sujet.

Quels poissons avez-vous bannis de votre carte ? 

Tous les poissons exotiques et le thon rouge, ou presque. Je m’autorise à cuisiner 1 à 2 pièces de thon rouge par an, uniquement pêchées à la ligne. Je n’en fais pas plus pour respecter le quota. Même si les stocks ont augmenté de manière surprenante ces derniers temps. Cela reste tout de même une espèce menacée. 
J’y suis particulièrement sensible, car quand j’étais enfant, alors qu’Audierne était un port de pêche important pour les langoustes, elles n’étaient quasiment plus présentes. Il a fallu 80 ans avant de refaire les stocks. Au point que c’est devenu un produit premium qui se revend très cher aujourd’hui.

Cuisinez-vous exclusivement des poissons entiers ?

De temps en temps, il m’arrive, lorsque l’on est trop juste en temps, de demander aux fournisseurs de couper et tailler le poisson, car je sais que ce sont eux qui les ont sélectionnés et je leur fais confiance. J’essaye de le faire le moins souvent possible, car le plus souvent le poisson est rincé à l’eau douce. Moi, je ne les écaille pas, ne les rince pas ou peu, simplement pour enlever le sang. Lorsque petit, j’allais à la pêche avec mon grand-père, le poisson était vidé et nettoyé à l’eau de mer. Ça change la donne, vraiment !

Que faites-vous des parures ?

Des fumés et de délicieuses sauces ! Et parfois quelques rillettes. J’essaye de faire en sorte de ne rien jeter. Surtout que le poisson coûte cher, alors on fait particulièrement attention !

Quels sont les poissons que vous aimez le plus cuisiner ? 

Le lieu jaune est mon poisson phare. Il a une reproduction permanente, donc je peux en avoir presque toute l’année, mais c’est un poisson qui reste un peu menacé, car il y a beaucoup de pêche hors ligne. J’aime aussi beaucoup le bar et le maigre et notamment ceux de Sandrine Thomas qui sont magnifiques. Il y a aussi des poissons moins connus comme la vieille, qui de ce fait n’est pas exposé à la surpêche. J’aime également le maquereau, le tacaud, le merlan qui sont tous des poissons côtiers. À l’inverse, j’évite le sabre, la julienne et les poissons de grands fonds que l’on n’aurait jamais eus vocation à manger si on n’était pas allé les chercher grâce à des méthodes de pêche actives. Je préfère les poissons qui me rappellent que presque n’importe qui peut prendre son bateau et aller le pêcher lui-même en s’armant d’un peu de patience !

D’où vous vient cet engagement, cette volonté de s’engager en faveur d’une pêche et d’une cuisine durable ?

Il est venu petit à petit et s’est accéléré lorsque j’ai eu ma première fille. J’ai pris conscience que l’Homme est en train de tout abîmer et je me suis remis en question. Je me suis demandé comment moi, restaurateur, je pouvais agir à mon niveau. Nous avons un devoir d’information et d’éducation envers nos clients, en prêchant la bonne parole et par les bonnes pratiques. Ce qui m’a permis de renforcer cet engagement, ce sont les rencontres avec les producteurs. Travailler en circuit-court est donc fondamental pour moi.

Êtes-vous amené à faire des concessions ? 

J’achète des crevettes à ma femme car elle adore ça ! (rire) Sinon, pour le restaurant, les concessions sont faites, malheureusement, pour des raisons économiques, ce qui est très frustrant. J’aimerais par exemple ne cuisiner que des saint-jacques de plongée, mais c’est très cher. Par ailleurs, en janvier, il n’y a pas de pêcheurs, car après les fêtes de fin d’année, ils prennent leurs vacances, donc je dois parfois, alors, faire quelques entorses à certains de mes principes. 

La mer, c’est aussi l’ouverture sur le monde et le commerce des épices ?

Oui les épices sont importantes pour moi. J’aime beaucoup jouer sur des notes fraîches et acides. Les épices me permettent de donner du contraste. J’en utilise moins que précédemment, mais elles sont le détail qui crée la petite différence dans l’assiette.

Quels conseils pouvez-vous donner aux mangeurs, qui eux aussi, souhaitent s’engager en faveur d’une pêche durable et ainsi mieux choisir leur poisson  ? 

Le critère le plus important est la méthode de pêche, car lorsque l’on y prête attention, on se rend compte que 90% des poissons, sur les étals des poissonniers, sont pêchés au chalut. Il faut privilégier la pêche côtière, à la ligne. Pour cela, il ne faut pas hésiter à questionner le vendeur sur la provenance du poisson et la méthode de pêche. Certains poissons sont à bannir comme le cabillaud, le bar en hiver, le lieu noir, le merlan bleu… Pour beaucoup de consommateurs, il est plus facile d’acheter du saumon ou du cabillaud, considérés faciles à cuisiner. Mais je conseille de varier les plaisirs et d’aller découvrir de nouveaux poissons moins populaires en demandant conseil au poissonnier qui saura vous dire comment bien le cuisiner.